Lorsqu’il est mis en rotation, un superfluide est traversé par un ensemble de petits tourbillons quantiques qui s’organisent en un réseau régulier, comme les tomettes d’un sol carrelé. Des physiciennes et physiciens ont mis en évidence pour la première fois la façon dont ce réseau fond, passant de solide à liquide sous l’influence des fluctuations thermiques.

Un superfluide est un liquide ou un gaz aux propriétés singulières : il s’écoule sans viscosité et est insensible aux petites perturbations. C’est le cas par exemple de l’hélium liquide ou des gaz d’atomes froids en dessous d’une certaine température critique. Lorsque le superfluide est placé dans un récipient en rotation suffisamment rapide, le superfluide ne tourne pas d’un bloc mais de minuscules tourbillons quantiques – aussi appelés vortex – se développent en son sein. Dans des gaz d’atomes ultrafroids, ces tourbillons peuvent être observés facilement lorsque le gaz est libéré du piège qui les contient : le gaz s’étend rapidement et les vortex deviennent suffisamment gros pour être visibles sur les images.

À très basse température, les vortex s’organisent selon une structure périodique, un réseau triangulaire. On peut voir ce réseau comme un cristal bidimensionnel, un carrelage de tomettes hexagonales dont les vortex occuperaient le centre. Cependant, lorsque la température ou la vitesse de rotation augmente, les fluctuations thermiques augmentent également, et la régularité du réseau cristallin s’en trouve affectée — le « carrelage » se déforme par endroits. Au-delà d’une valeur critique de ces fluctuations, on atteint le point de fusion du réseau, le cristal fond et on obtient un liquide de vortex, dont on sait peu de choses.

Dans une expérience récente, des chercheurs et chercheuses du Laboratoire de physique des lasers (LPL, CNRS / Université Sorbonne Paris Nord) ont mis en évidence pour la première fois ce processus de fusion du cristal de vortex, qui passent de solide à liquide sous l’influence des fluctuations thermiques. Le processus de fusion se déroule selon un scénario générique bien établi d’apparition de défauts dans le cristal, comme l’illustre la figure. Elle montre une mesure expérimentale de la densité du superfluide en rotation, dans laquelle les vortex apparaissent comme des creux, ici en couleur claire. La structure régulière du réseau triangulaire formé par l’arrangement des vortex est mise en évidence par les traits bleus. Dans ce réseau, un défaut de structure est présent, souligné par le losange rouge. Les scientifiques montrent que ces défauts sont créés spontanément par l’agitation thermique résiduelle du gaz et que leur prolifération est responsable de la fonte du réseau de vortex.

Le même scénario a été observé précédemment dans les supraconducteurs, mais aussi dans des systèmes classiques tels que les plasmas poussiéreux chargés ou les particules colloïdales en suspension. Ces nouveaux résultats obtenus avec un gaz quantique aideront à mieux comprendre le comportement des systèmes quantiques en interaction à des températures non nulles. Ils sont publiés dans les Physical Review Letters.

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Figure : Apparition d’une dislocation (en rouge) dans un réseau de vortex © R. Dubessy et H. Perrin.

Institut Galilée

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